Collages

Les photographies de Florence Gruère sont le fruit d'une transgression. Superposer des photos, cela ne se fait pas, et je connais plus d'un puritain de la corporation que cette exposition va faire crier.
Florence Gruère passe outre et superpose les images avec bonheur, je veux dire en aimant cela et en arrivant à des résultats brillants. Quel résultat?
Chaque image devient la grille de déchiffrement de l'autre, sa clef en quelque sorte. Ce sont généralement un visage et un paysage qui sont ainsi mariés. Le paysage ne connaît que la ronde des saisons. Le visage témoigne de la trajectoire d'une vie entière. La surimpression des deux, c'est l'entrecroisement d'un cercle et d'une ligne. Parfois le paysage apporte sa matérialité. Il alourdit de ses matières la transparence interrogative du visage. La lisseur du front et des joues se hérisse de briques, de mortier, de pavés. Et ce mur nous regarde. Ou bien, c'est l'infini le vide, la fuite d'un ciel qui buttent soudain sur la tendre plénitude d'une bouche. L'objet et le sujet échangent leurs attributs. La dialectique de l'animé et de l'inanimé ne joue plus.
Michel Tournier